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Les lunettes de Spinoza : un hymne à la vie


Spinoza, ce philosophe du 17ème siècle, compagnon de route, ou encore mieux, de vie ?

C’est après avoir entendu récemment deux témoignages à la radio que je me suis rendu compte qu’il pouvait l’être, ou le devenir. Moi qui ne suis pas plus philosophe que cet écrivain ou cette ancienne résistante - mes deux « témoins » - , je savais pourtant qu’au panthéon de la philosophie il occupait une place privilégiée, sinon la plus centrale.
Déjà, Hegel nous le signalait : « Spinoza ou pas de philosophie ».
Plus proche de nous, Alain : « Le plus rigoureux et le plus sûr des maîtres à penser ».
Enfin, Deleuze : « Spinoza, le philosophe des philosophes ».

Inséparable de son œuvre, sa vie se situe dans cette Hollande du « Siècle d’or » qui allait ouvrir la voie à notre modernité : d’Amsterdam des navires partaient jusqu’au Japon.
Pour mieux apprécier l’audace de sa philosophie, rappelons que celle-ci devait rester « la servante de la religion », qu’elle soit juive, catholique ou calviniste. C’est dans un tel contexte que Spinoza allait forger ses concepts - « les chants de la pensée » - cela avec la même rigueur qu’il mettait dans son métier pour polir des verres optiques.
De son vivant, notre philosophe-opticien n’a presque rien publié et pour cause : être traité de « spinoziste » pouvait signifier une véritable menace de mort. Si son chef-d’œuvre, L’Ethique, œuvre de toute une vie, fut interdit, c’était en vain. Spinoza n’avait-il pas écrit : « On ne peut supprimer une idée que par une idée » ?

Une manière de penser

Subversive pour son époque et d’une portée considérable, l’une des thèses essentielles de sa philosophie tient dans cette formule : « L’homme n’est pas un empire dans un empire ». Autrement dit, il fait entièrement partie de la nature, au même titre que les plantes et les animaux. Et comme chaque être vivant, l’homme tend, par nature (par essence), « à persévérer dans son être » : l’homme désire vivre. Pour ce philosophe, l’homme ne se suicide pas, « il est suicidé » : « Impuissant, il est vaincu par des causes extérieures ».
Ce désir, qui est puissance de vie, n’est donc pas un manque de quelque chose. Contrairement à une idée également bien ancrée, nous ne désirons pas une chose parce qu’elle est bonne : « C’est l’inverse, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle par désir ». Et si l’objet de notre désir n’est souvent que le fruit de notre imagination, cela tient au fait que nous cherchons la cause de ce désir dans l’objet lui-même plutôt qu’en nous. Nous procédons mentalement de la sorte lorsque nous attribuons à tel ou tel événement une cause extérieure et que, par exemple, nous invoquons le destin. De même avons-nous tendance à moraliser : ce qui en réalité, est bon ou mauvais, devient bien ou mal.
D’après Deleuze, Spinoza a ainsi découvert un véritable « Inconscient de la pensée ».

Une manière de vivre

Proposant une éthique de vie, la question est pour ce philosophe : « Que dois-je faire pour être sûr d’être heureux ? » D’où sa réponse : « La sagesse de l’homme libre est une méditation, non de la mort, mais de la vie. »
Cette éthique consiste avant tout en une libération de la servitude « passionnelle », en tant que l’objet réel de la passion se trouve imaginé ou fantasmé. Ainsi naît l’amour-passion.
Cette entreprise de libération ne passe pas par un acte de libre-volonté (libre-arbitre), car ce volontarisme « n’est rien d’autre que l’ignorance des causes ». L’homme libre ne cherche pas en effet à réprimer son désir de vie, qui est par essence désir de plénitude de vie (de joie).
L’homme libre est celui qui suit sa voie : il ne cherche donc pas « à s’en tirer » avec violence ou ruse, pas plus qu’il ne pratique la satire ou la raillerie, ces « passions tristes ». Enfin, ce que l’homme libre désire pour lui, il le désire « nécessairement » pour les autres : de la même façon, « Les hommes libres se donnent à eux-mêmes des lois nécessaires ».

Lire Spinoza

Spinoza lui-même, à la fin de l’Ethique, avertit le lecteur : « La voie que j’ai montrée paraît être extrêmement ardue, encore y peut-on entrer. »
En effet, cet ouvrage commençant par la définition de notions abstraites (substance, mode, attribut), a de quoi décourager plus d’un. Robert Misrahi , l’un des plus grands spécialistes de cette philosophie, nous signale également les nombreuses confusions qui ont été faites à son sujet. Par exemple, contrairement à une idée encore très répandue, le spinozisme n’est pas un panthéisme.
Aussi, nous permettons-nous de conseiller aux non-philosophes (le sont-ils vraiment ?) de débuter par des ouvrages d’initiation (heureusement il n’en manque pas).
Enfin, pour ceux qui se plongeraient directement dans l’Ethique, nous ne pouvons qu’espérer - comme l’un de ses lecteurs (cité par Deleuze) – qu’ils se sentiront « poussés dans le dos par une rafale de vent ». Lequel lecteur ajoute aussitôt : « Je n’ai pas tout compris, mais dès qu’on touche à des idées pareilles, c’est comme si on enfourchait un balai de sorcière. Je n’étais plus le même homme… »

Jean-Paul BOURDON



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